Eva Janadin, Délégué générale de l’Islam au XXIème siècle s’interroge, dans le JDD, sur la place des femmes dans la direction de la prière, chez les Musulmans.
Le Journal du Dimanche – Enquête d’Anne Vidalie, le 6 décembre 2020
ISLAM _ Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, jeunes trentenaires converties depuis dix ans, sont les deux premières femmes imames de France
DIFFÉRENCE _ Elles veulent faire entendre la voix d’une pratique progressiste afin de mieux combattre les dérives extrémistes et communautaristes
Ce vendredi de novembre, les fidèles de la mosquée Simorgh ont rendez-vous en ligne, confinement oblige. « Nous sommes 127 inscrits mais le système de visioconférence bloque le nombre de participants à 100 », les avertissent Anne-Sophie Monsinay et Eva Janadin, les deux imames qui dirigent l’office. Passé les échanges de « salam », la salutation usuelle, elles rappellent quelques règles de bonne conduite. Couper le micro pendant le sermon. Activer la petite main bleue pour demander la parole ensuite. Des rires fusent (où peut bien se cacher ladite icône?) sur fond de chamailleries enfantines. Les visages défilent sur l’écran. Des hommes et des femmes, voilées ou non. Beaucoup de jeunes et quelques têtes grisonnantes. Des Parisiens, des provinciaux et des internautes de Belgique, d’Irlande ou de Tunisie.
Après une minute de silence en hommage aux victimes des attentats islamistes de l’automne, c’est parti pour deux heures d’office, en français à l’exception de la prière, et de questions-réponses consacrées au thème du jour : comment interpréter les versets les plus guerriers du Coran, ceux que brandissent les fous d’Allah ? « Une violence encadrée, contrôlée et restreinte à des situations précises, inexistantes aujourd’hui, prêche Anne-Sophie, exemples à l’appui. L’histoire et la mise en perspective de ces versets sont les meilleurs remparts à toute forme de violence à motif religieux. »
Attention aux apparences : derrière leur douceur et leur sérénité, Eva Janadin, 31 ans, et Anne-Sophie Monsinay, d’un an sa cadette, cachent des âmes de révolutionnaires. Voilà un peu plus d’un an, ces tenantes d’un islam progressiste sont devenues les premières imames de France. Imames, avec un « e ». Le 7 septembre 2019 à Paris, devant une centaine de fidèles des deux sexes, elles ont mené la prière côte à côte. Tête nue toutes les deux, jupe longue pour l’une, jean pour l’autre.
D’autres pionniers de l’imanat étaient venus leur apporter leur soutien: la féministe américano-malaisienne Ani Zonneveld, fondatrice du mouvement libéral Muslims for Progressive Values; l’avocate germano-turque Seyran Ates, à la tête de la mosquée Ibn-Rushd-Goethe de Berlin ; le Franco-Algérien Ludovic-Mohamed Zahed, créateur du collectif Homosexuel(le)s musulman(e)s de France, dont la mosquée marseillaise, Calem, est la première à se revendiquer « inclusive ». Les défenseurs de la tradition s’étranglent. « Mixité, imamat féminin, non obligation pour les femmes de porter le voile dans l’enceinte de la mosquée ainsi que pendant la prière … Autant d’erreur, d’incompréhension, voire de transgression de l’Islam » (sic), assène alors l’agence internationale de presse coranique.
Sur les réseaux sociaux, des tombereaux de moqueries et d’insultes se déversent sur la jeune mosquée Simorgh, du nom d’un oiseau de la mythologie perse symbolisant le guide intérieur de chaque croyant. Petit florilège : « Qui s’occupera des enfants ? » ; « Deux petites bourgeoises en manque d’exotisme qui s’imaginent que l’islam, c’est un genre de yoga sur un tapis de prière » ; « Des nanas qui connaissent rien sur l’islam » ; « C’est des signes de la fin des temps » ; « Une femme imame, c’est blasphème » ; « On aura de plus en plus de femmes terroristes » ; « Cancer de la communauté », etc.
DES MOSQUÉES TROP RIGORISTES
L’adversité n’effraie pas Eva et Anne-Sophie. Leur religion, elles l’ont choisie après des années de quête intellectuelle et de tâtonnements spirituels. Dans la Normandie où elle a grandi, Anne-Sophie a fréquenté le catéchisme jusqu’à sa première communion, avec une « foi d’enfant ». À 10 ans, alors qu’elle s’interroge sur l’origine de l’humanité, un prêtre lui explique que, non, le récit symbolique de la Bible ne contredit pas la science et la rationalité. « Comme il a fait le parallèle avec la petite souris et le père Noël, je me suis dit que rien de tout ça n’était vrai, que la religion colportait des superstitions », rigole la jeune femme. Plus tard, étudiante en musique à Paris, elle se plonge dans la lecture des Évangiles et de la Bible au contact d’un groupe de jeunes chrétiens évangéliques. Grâce à eux, elle rencontre des croyants d’autres confessions, et notamment des musulmans. Elle qui ne connaît rien à l’islam s’enthousiasme pour le Coran. « C’est la suite de la Bible, estime-t-elle. Dieu invite les musulmans à croire aux révélations antérieures et à lire la Torah, les Psaumes et les Évangiles. Et il nous incite à réfléchir par nous-mêmes, à raisonner, à étudier. »
Eva, elle, est née dans une famille athée de l’est de la France. Ses parents ne lui donnent pas d’éducation religieuse, mais l’inscrivent chez les Scouts de France où elle découvre, fascinée, les temps de prière des camps d’été et la liturgie de la messe. « J’aimais la force spirituelle qui se dégageait », se souvient-elle. Inscrite en fac d’histoire, elle étudie l’ islam, son évolution, ses écoles théologiques et son droit. Son prof d’arabe lui parle du mutazilisme, ce courant rationaliste né au VIIIe siècle, réfractaire au dogmatisme, qui conjugue foi et raison et valorise le libre arbitre. « Ces textes m’ont bouleversée », confie Eva, qui a cofondé en 2017 l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite.
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