L’Opinion – Marie-Amélie Lombard-Latune, le 2 décembre 2020
Reçue à Élysée en mars 2018, l’imame danoise Sherin Khankan, auteure de La femme est l’avenir de l’islam (Stock), avait suggéré à Emmanuel Macron d’organiser une conférence internationale réunissant des femmes imames venues du monde entier, des femmes rabbin, des pasteures protestantes, des prêtres catholiques ainsi que des intellectuels. Le projet de la Danoise, qui a ouvert la première mosquée 100% féminine à Copenhague, avait séduit le président qui, à l’époque, réfléchissait au dialogue entre les civilisations…
Aujourd’hui, le sujet des femmes imames est sur la table des discussions sur l’organisation de l’islam en France. Une question complexe, éminemment politique, et qui divise profondément.

Rien dans le Coran ni dans la sunna n’interdit formellement l’imamat des femmes. « Une tradition, qui remonte aux vie et vue siècles, permet même à des femmes de mener la prière au Pakistan ou en Inde. Il n’y a aucune opposition théologique à cela», relève Ghaleb Bencheick, président de la Fondation de l’islam de France. D’autres exemples existent en Allemagne, au Canada ou aux États-Unis.

L’idée, a priori progressiste, fait son chemin en France à l’heure des tentatives pour intégrer l’islam à la République.« En dehors de la direction de la prière collective, elles peuvent déjà remplir toutes les fonctions exercées par les imams. Elles intégreront à terme le Conseil national des imams», confirme à l’Opinion Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman, chargé par les autorités de bâtir ce futur CNI.

Hostilité de principe.
Mais, à peine évoqué, le sujet des « mourchidates » (guides religieuses) – une dizaine exerce par exemple en France après avoir été formées à l’Institut Mohammed-VI de Rabat – provoque des crispations. D’abord, une hostilité de principe au fait que le CFCM, instance laïque, se mêle de la nomination des imams et que L’État, de près ou de loin, s’immisce dans le cultuel musulman alors qu’il se garde bien d’entrer dans les controverses sur les femmes prêtres ou rabbins.

Mais, surtout, des interrogations sur les chances de succès d’un tel projet. « Sur le fond, pourquoi pas? Mais il faudra les former et leur trouver des mosquées. C’est déjà difficile pour les hommes », rappelle Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux. Il souligne que, dans les rites malékite (suivi au Maghreb et en Afrique subsaharienne) et hanafite (majoritaire en Turquie), l’imamat des femmes n’est pas admis. « ]e crains que cela ne soit qu’un objet de communication cosmétique », conclut-il, estimant que la communauté musulmane n’est pas prête.

Interlocutrices.
Volonté d’avancer sur la voie d’un islam ouvert, tolérant, de présenter la future organisation de l’islam de France comme une évolution majeure: tel est évidemment l’objectif du gouvernement qui sait que la question des femmes imames oblige chacun à se positionner. Ceux qui refuseraient une avancée, même modeste, seraient classés dans le camp des obscurantistes. Dans une enquête de l’Institut Montaigne et de l’Ifop menée en 2016 auprès des Français de confession musulmane, 35% se disaient prêts à accepter qu’une femme puisse devenir imame.

Avec Anne-Sophie Montinay, Eva Janadin dirige depuis plus d’un an une prière mixte dans un lieu parisien. Un rendez-vous régulier, tous les quinze jours environ, où ces deux enseignantes converties depuis une dizaine d’années veulent diffuser « une autre vision de l’islam, fondée sur des principes d’égalité et de liberté ». Elles n’ont pas été directement associées aux réflexions actuelles sur un Conseil national des imams mais sont considérées par les milieux progressistes comme des interlocutrices valables, aux connaissances solides, tout comme l’imame franco algérienne Kahina Bahloul à l’origine du projet de mosquée libérale Fatima à Paris.
« Ces femmes permettent à un islam libéral, répondant aussi aux préoccupations de couples mixtes, d’homosexuels, de minorités, de s’exprimer. Ce courant n’est pas négligeable en France, note l’essayiste et chroniqueur à l’Opinion Hakim El Karoui. À ce titre, elles ont un rôle important à jouer ».

Eva Janadin est très claire : « On peut toujours se plonger dans les traditions prophétiques, on n’y trouvera pas de consensus chez les savants sur cette question. Le vrai obstacle à ce qu’une femme dirige la prière, c’est son corps, la visibilité qu’elle lui donne à cette occasion. Pour les conservateurs, c’est un tabou. « Cela risque de déconcentrer les hommes », disent-ils. Il n’y a pas d’autre raison à cette opposition. » Pour la jeune femme, il est probable que le Conseil national des imams se limitera, dans un premier temps, à certifier les femmes chargées d’un enseignement religieux dans les mosquées.


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