Thème : « Islam et identités : entre culte et cultures »

Après deux jours de conférence qui ont réuni plus de 30 intervenants venant de 10 pays différents, sur le thème « Islam et identités : entre culte et cultures », l’association « L’Islam au XXIème siècle » a tracé quelques lignes d’actions pour l’année à venir. Elle poursuivra ses travaux par la publication régulière de sa revue trimestrielle et l’organisation d’une conférence internationale tous les deux ans.

L’association souhaite, également, travailler en direction des jeunes par la création de vidéos véhiculant des discours alternatifs à ceux majoritairement diffusés sur les réseaux sociaux par les influenceurs salafistes. Ces contenus reprendront les questions les plus récurrentes posées par les jeunes Français musulmans que nous pouvons regrouper en trois domaines :

1 | les relations hommes-femmes ;
2 | les relations avec les non-musulmans ;
3 | la pratique quotidienne de l’islam.

« Puis-je avoir des relations sexuelles avant le mariage ? Est-ce que j’ai le droit de fêter Noël ou Nouvel An ? Est-ce que je dois jeûner même en période d’examens ? Que dois-je dire à mes parents quand ils boivent de l’alcool ? » Ce sont autant d’exemples de questions pratiques posées régulièrement sur les réseaux sociaux auxquelles il faut apporter des outils et des éléments de réponses afin d’éviter que les positions les plus extrémistes ne l’emportent.

Pour gagner en légitimité auprès des jeunes internautes, les réponses apportées à ces questions doivent s’appuyer sur des textes de l’islam (Coran, Sunna) expliqués par leur contexte historique d’apparition. La contextualisation de ces corpus est en effet essentielle pour éviter d’universaliser des règles propres à une époque révolue et montrer que ces textes de référence ne sont pas aussi rigides et culpabilisateurs que les extrémistes musulmans veulent le faire croire aux plus jeunes.

Synthèse des travaux de la Conférence

La question de l’islam est au cœur de l’élection présidentielle, mais elle est posée de la pire des manières, par le biais de la haine, du rejet de « l’autre musulman ». Il n’y a personne dans le champ médiatique pour dire que l’islam n’est pas ce qu’en disent les extrémistes et les populistes. L’intégration est devenue un processus douloureux, synonyme de désintégration, de désaffiliation, alors que le niveau de discrimination envers les personnes d’origine maghrébine reste élevé. Néanmoins, la France est le pays occidental où les mariages mixtes sont nombreux. Il existe donc un paradoxe entre cette ouverture et une grande fermeture alimentée par les discriminations, et la tolérance, inimaginable il y a quelques années, vis à vis d’un discours xénophobe et raciste. Le « grand remplacement » est devenu un sujet de débat, alors que cette idéologie insupportable est à l’origine de la tuerie de Christchurch.

Les thèmes de l’intégration, de l’acculturation et de l’identité des musulmans viennent en tête des interventions. Mais de qui parle-t-on vraiment lorsque l’on évoque « les musulmanes et les musulmans » ? Et si l’on donnait la parole aux principaux concernés pour savoir comment eux-mêmes vivent leur islamité et la qualifient ? Se dire de religion, de culture ou d’origine musulmane n’a pas la même signification chez les individus, et derrière le mot « musulmans » se cachent une multitude d’identités et de définitions de soi (Marie-Claire Willems). L’islam n’est pas uniquement vécu comme une foi ou un ensemble de rituels religieux. Il est aussi conçu comme une identité culturelle et une loyauté à un héritage familial, sans que cela sous-entende une rupture avec la société française.

Reste que la dimension proprement cultuelle, ou de foi, de croyance, demeure un besoin pour de nombreuses personnes. « Il faut inscrire le sacré dans la vie, sinon il reste une abstraction » (Abdennour Bidar). Sans occulter ainsi une telle quête, il nous faudra comprendre la part de ce qui revient à la croyance et à la spiritualité par rapport à ce qui reste de l’ordre de considérations culturelles acquises.

Est-il encore pertinent de parler de « société d’accueil », de « culture d’origine » ou « d’acculturation » pour des individus issus de la troisième et quatrième génération d’immigrés ? Pourquoi continuer à percevoir comme étrangers l’islam et les musulmans en France ? Comment expliquer que ces familles françaises et musulmanes de Vénissieux espèrent que l’école de la République leur serve d’ascenseur social, mais n’y trouvent qu’une orientation imposée vers des voies de relégation ? Comment expliquer que ces familles perçoivent l’école comme une « machine à exclure » (Samia Langar) ? Ces familles de « musulmans lambda » sont pourtant les premières à dénoncer et à déplorer l’absence de mixité sociale dans leurs territoires, sans être vraiment écoutées. Pour elles, « il y a « eux » qui ne veulent pas de « nous ».

Dès lors, comment comprendre l’islam et le culte ? Faute d’être qualifiés dans l’espace scolaire et social, faute que certaines qualités et valeurs leur soient reconnues, certaines jeunes musulmans cherchent et trouvent cette reconnaissance dans l’islam. Les influenceurs salafistes ont largement profité de cet appel d’air en s’adressant aux jeunes : « reconnus ni comme français, ni comme algériens, marocains ou tunisiens, il ne leur reste plus que l’islam pour s’identifier, se construire et retrouver leur dignité » (Hakim El Karoui).

Si le problème de l’islamisme et du djihadisme venait d’un écart culturel entre les « Français de souche » et les musulmans, comment expliquer que plus de 90 % des djihadistes liés à la France aient la nationalité française et soient de culture française ? Comment expliquer que l’on trouve, parmi les djihadistes, 30 % de convertis, n’ayant aucun lien avec une culture étrangère (Benjamin Hodayé) ?

Le problème est que la politique d’intégration à la française qui passerait par une assimilation à la culture française ne marche : pas car la question de l’acculturation ne se pose tout simplement plus pour les Français musulmans du XXIème siècle. La grande majorité sont de culture française depuis plusieurs générations. La question n’est donc pas de savoir si l’islam est une religion française, puisqu’elle l’est aujourd’hui, mais de prendre conscience que les réponses aux questions d’intégration doivent être politiques et sociales.

En donnant moins à ceux qui ont moins dans les quartiers pauvres, on a finalement fabriqué nos propres séparatismes. Plus que de parler de « territoires perdus de la République », on devrait plutôt parler de territoires oubliés par la République ; des quartiers qui manquent cruellement d’enseignants, de policiers plus expérimentés et de médecins. « Au lieu de se plaindre et de crier à l’invasion, il serait temps de cesser de concentrer trop de populations pauvres au même endroit et d’investir dans ces quartiers. C’est là que la République se joue, c’est là que son cœur bat et qu’elle peut aussi mourir » (Hakim El Karoui).

Pour combattre l’islamisme et les discours radicaux, il faut également agir dans le domaine du culte et du discours religieux. La jeunesse musulmane est aujourd’hui fortement influencée par des entrepreneurs du religieux qui ont investi les réseaux sociaux pour diffuser et banaliser les discours salafistes. Il est urgent de s’adresser aux jeunes et de ne pas laisser le monopole de l’interprétation de l’islam sur les réseaux sociaux aux mains des fondamentalistes. Les jeunes musulmans ont besoin de recourir à l’islam pour construire une partie de leur identité : il ne s’agit pas de se contenter de diffuser des contre-discours et de délégitimer le recours au religieux pour tisser un lien avec ses origines, mais de leur offrir des discours alternatifs sur l’islam. « Il est nécessaire de diffuser massivement des interprétations non violentes et progressistes du Coran et de la Sunna, et des connaissances historiques pour mieux comprendre le contexte médiéval d’émergence de concepts, si mal compris aujourd’hui, comme le djihad, le califat ou encore la charia » (Farid Grine et Usama Hasan).

Ainsi, à côté de la religion, du culte, et si la dimension culturelle était la grande question du siècle à traiter ? Car l’Islam est en fait un monothéisme abrahamique comme un autre, sans qu’on puisse, théologiquement, identifier de différence majeure avec judaïsme et christianisme. Une société patriarcale, l’absence d’égalité réelle entre hommes et femmes, ou la lapidation de la femme adultère, correspondent-elles à une obligation religieuse, cultuelle, ou sont-elles le résultat d’influences culturelles ? Lorsque le Pakistan instaure l’obligation de l’enseignement de la langue arabe, ou tente, en vain, la plantation de milliers de palmiers dans la capitale afin de « l’arabiser », le fait-il au nom de considérations religieuses, ou plutôt selon une volonté politique, c’est-à-dire culturelle ? Enfin le fait qu’il n’y ait « pas de différence statistiquement significative entre les réactions, décisions prises et valeurs affirmées par des arabes musulmans et par des arabes chrétiens » (Marwan Sinaceur), plaide en faveur d’une meilleure compréhension, pour pouvoir agir, de ces déterminants culturels au sens large.