Le mot du président
« Liberté – Égalité – Fraternité »
Notre pays vient de vivre une séquence d’élections, présidentielle et législative marquées par des instrumentalisations mensongères autour de l’islam et des musulmans. De fait, la question des relations entre les religions et la République date de la naissance de cette dernière et s’est toujours posée pour tous les cultes. Pour l’islam, la compatibilité est totale entre les idéaux républicains et ceux de la foi. Ainsi, notre belle devise républicaine peut se lire de manière très signifiante, quasi spirituelle, pour un musulman.
La première devise de 1830 se réduisait à Liberté-Égalité. Ce n’est en 1848 que la Fraternité entre officiellement dans la devise républicaine. Louis Blanc indique en 18481 :
« En quoi consiste cette devise ? Dans l’union de ces trois mots : liberté, égalité, fraternité. Oubliez-en un, les autres n’ont plus de signification. Dites la liberté seulement, et vous arrivez à ceci : les hommes ne s’aiment pas ; chacun pour soi ; la lutte s’engage ; les uns triomphent, les autres sont vaincus : plus de liberté. Pour qu’elle existe, il faut la mettre dans l’égalité ; et pour que l’égalité elle-même se maintienne, il faut la sanctifier par le sentiment de la fraternité. »
La devise républicaine est donc à prendre comme un ensemble en équilibre, avec la fraternité faisant résolument, et idéalement, le lien entre liberté et égalité.
Notre Liberté a des limites et nous devons garder notre humilité. L’homme doit se policer et ne pas « vouloir être tout ». C’est la prière de Maimonide : « Éloigne de moi Ô Dieu, l’idée que je peux tout », ou, plus près de nous, celle d’Albert Camus : « un homme ça s’empêche ». Certes, mais nous devons progresser. La liberté — au sens de responsabilité — qui m’échoit et que j’utilise va de pair avec l’impératif de poursuite de ma quête spirituelle, en une notion de réelle co-construction du monde avec Dieu2. Selon le Coran, les anges ont refusé, apeurés, la décision divine d’instituer un légataire sur Terre, alors que l’homme accepte, mieux, s’empare de cette proposition3. Dans cette co-construction du monde, ce premier acte de l’homme a été un acte de libre choix4, résultant de sa volonté, libre et consciente.
L’égalité entre les personnes peut être vue dès lors comme une conséquence directe de cet acte fondateur initial. Pour les mystiques soufis, l’homme a une mission de féconder l’univers. Ce dépôt reçu en partage c’est celui de la responsabilité pour tout le genre humain d’assurer cette mission de co-construction du monde avec Dieu. Dès lors, la clôture de la Révélation divine ne signifie pas fermeture de l’intérieur, négation de toute possibilité d’évolution avec fatalisme aveugle et prédestination absolue. Au contraire, elle signifie que la maturation humaine doit nous pousser à chercher et construire l’avenir, en pleine résonance entre foi et exercice de la raison.
Une telle liberté et une telle égalité nous conduisent naturellement vers l’exercice de la fraternité. C’est en cela qu’au-delà des exagérations des campagnes électorales récentes, nous pouvons mesurer le chemin parcouru vers l’exercice d’une pleine citoyenneté pour tous, par tous. Pour le croyant sincère, la bonne compréhension des principes républicains ne sera jamais en tension avec sa foi.
C’est aussi, à leur manière, ce que nous indiquent les contributeurs de ce numéro, dès lors que l’on s’attache à « élargir un peu la focale ». Steven Duarte nous expose les richesses de l’islam libéral (ou islam réformiste, diront certains…). Mohammed Hashas montre combien la notion de liberté est pleinement enchâssée dans notre éthique, en une voie vers la spiritualité. Karima Berger enfin, dans un très beau texte sur le jeûne du mois de Ramadhan, souligne qu’il nous remet, de manière égale, en lien avec le Un…
Bonne lecture à tous de ce 7e numéro de « L’Islam au XXIème siècle » !
Sadek Beloucif
Président de l’Association « L’Islam au XXIème siècle »
1 – Cit. dans Le Moniteur universel, 24 mars 1848.
2 – Abdennour Bidar, L’islam spirituel de Mohammed Iqbal, Paris, Albin Michel, 2017, 352 p.
3 – Youssef Seddik, Nous n’avons jamais lu le Coran, Paris, Éditions de l’Aube, 2013, 336 p.
4 – Mohammed Iqbal, La reconstruction de la pensée religieuse en islam, Paris, Gallimard, 2020, 352 p.
REVUE N°7 – Juillet-Septembre 2022
Contribution : Eva Janadin, Steven Duarte, Mohammed Hashas, Karima Berger.
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