Le mot du président

« Islam et Sciences »

La Terre est-elle plate ? La question pourrait faire sourire si, dramatiquement, les forces obscures faisant leur miel de tout le fiel possible n’étaient à l’œuvre. Nidhal Guessoum, scientifique émérite montre avec brio comment la relation de l’islam avec la science moderne peut être complexe ou instrumentalisée, ou simplement faire l’objet de représentations spécieuses. Là où l’innovation (technologique) et le progrès sont vus comme des facteurs de créativité et de liberté, pour les wahbabistes, « l’innovation » est traduite et comprise comme une déviance (bid‘a), à condamner car risquant d’introduire dans l’islam des composants contraires à la « vraie croyance », la vraie loi.

À sa suite, Fadel Soubiane Bah rappelle que « la recherche du savoir ainsi que l’acquisition de la science s’impose comme une obligation, car comme le dit le Prophète de l’islam, la science est un devoir pour tout musulman ». À ce titre, ce sont tous les champs scientifiques qui doivent être appréhendés et compris, du rationalisme le plus objectif aux savoirs mystiques, ésotériques et spirituels.

L’astrophysicien Abd El-Haqq Guiderdoni, en prenant l’exemple de la détermination du début du mois de Ramadan (faut-il privilégier la responsabilité liée à l’observation directe, ou peut-on suivre ce qu’ont déterminé les astronomes ?) explique comment justement science et religions peuvent s’allier, en associant l’indication statistique de la corrélation positive à la possibilité d’une observation, tout en gardant l’exercice de la visibilité directe, qui permet d’exercer sa responsabilité en contemplant les étoiles, et au-delà la beauté de la Création…

À leur tour, Malik Bezouh et Inès Safi  illustrent très bien une telle approche. Le premier en démontrant qu’en Islam « le savoir a une dimension quasi cultuelle », la seconde en soulignant qu’on ne peut en fait opposer la vérité scientifique issue de la raison et l’expérience personnelle intime de la spiritualité et des émotions.

La volonté à la fois de préserver à la fois la relation vers la transcendance, le Un, et également l’immanence, avec la quête continue d’être disponible envers mon prochain, de l’aider et l’aimer ne sont pas contradictoires. Dans les deux cas, l’exercice de ma raison, que ce soit pour tenter de mieux comprendre la partie spirituelle de la Révélation, ou pour user de mon intelligence pour percer les mystères du monde, est valorisé, comme nous le montrent nos deux auteurs. Pourquoi la raison serait-elle antagoniste de la foi ? Sans refaire le débat philosophique et théologique entre Averroès et Saint Thomas d’Aquin, nos esprits modernes comprennent cette tension entre raison et foi, entre philosophie et théologie.

À la différence d’Averroès, rationaliste pour qui la raison est l’instrument qui sert à distinguer le bien du mal, pour Saint Thomas d’Aquin, reprenant une conception déiste plus classique, la raison est confortée par la foi (« ratio confortata  de »), suggérant une intervention du divin dans l’acte même de penser. Le recul de l’histoire des idées nous a appris que ces deux notions ne sont pas deux contraires opposés, raison et foi ne s’excluant pas mutuellement. Car « Un peu de science éloigne de Dieu ; beaucoup de science y ramène » nous dit Francis Bacon dans une citation célèbre reprise par Louis Pasteur. De fait, la démarche rationaliste pure ne résout pas la question du « Pourquoi ? » de notre recherche.

L’activité de réflexion humaine (qu’elle soit par la science pure, la réflexion, l’éthique, ou le respect d’autrui) ne saurait entrer en conflit avec une invocation spirituelle d’un ordre supérieur. Dans son livre Dieu face à la science, le scientifique Claude Allègre rappelle les incertitudes, les doutes, et les combats de l’Église face à la science au cours de l’histoire. Et sa conclusion est optimiste :

« La certitude du savoir entraîne le dogmatisme, l’esprit dévot, l’intolérance. La religion donne des explications aux « mystères » du monde. La science cherche à comprendre ces « mystères » par la raison et elle est donc par définition limitée par les capacités du cerveau humain. Elle est donc vouée à des « vérités successives », à des « certitudes » provisoires. Et c’est cette précarité — difficile à supporter pour l’homme — qui la distingue de la pensée mythique. Elle ne doit jamais l’oublier et succomber à la tentation du « savoir absolu ».

Ainsi, dans le sillon du Prophète et pour le Créateur, le musulman se doit d’œuvrer pour un effort de découverte, de réflexion personnelle et de recherche. Pour le musulman, cet effort est le véritable moteur de l’islam, car la raison ne saurait s’opposer à la religion. La foi et la raison réalisent ainsi une éthique de vie guidant les comportements du croyant, afin tout simplement de rendre l’homme libre.

Sadek Beloucif
Président de l’Association « L’Islam au XXIème siècle »

NUMÉRO SPÉCIAL : Islam et Sciences – Avril-Septembre 2023
Contribution : Eva Janadin, Nidhal Guessoum, Fadel Soubiane Bah, Abd El-Haqq Guiderdoni, Malik Bezouh, Inès Safi.

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