Le débat qui court en France sur la laïcité est mal compris à l’étranger.
Hakim El Karaoui s’efforce de trouver une raison à cette singularité française.

L’Opinion / Identités – la chronique de Hakim El Karoui, le 23 novembre 2020

Le concept de laïcité déchaîne les passions politiques en France, est incompris à l’étranger et semble incapable de réunir autour de lui un consensus minimal, tellement il est utilisé par des camps opposés pour évoquer des positions différentes. Je voudrais ici, au-delà des postures, essayer de comprendre les raisons de cette incompréhension en partant du constat que la laïcité s’inscrit dans trois ordres différents : un ordre juridique, un ordre politique, un ordre philosophique.

L’ordre juridique est celui de la loi de 1905 qui, même si elle n’utilise pas le concept de laïcité, a fondé sa définition en droit autour de deux concepts : la liberté des individus et la neutralité de L’État. « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice du culte » tant qu’il ne trouble pas l’ordre public. Et dans son article 2, la loi de 1905 énonce que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » : c’est le principe de neutralité. C’est cette définition de la laïcité qui explique la jurisprudence du Conseil D’État qui a toujours rappelé que la laïcité était un principe de liberté plutôt que d’interdiction, la seule limite à l’expression de la religion dans l’espace public étant le trouble à l’ordre public. D’où par exemple la décision de casser les arrêtés municipaux qui interdisaient le burkini, celui-ci ne constituant pas un trouble manifeste à l’ordre public.

Mais, la laïcité, c’est aussi un principe politique qui va chercher son principe dans la Bible : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ((Marc, XII, 13-17; Matthieu, XXII,21; Luc, XX, 25). C’est la réponse du Christ aux pharisiens qui lui demandaient s’il était conforme à la loi de payer les impôts romains. C’était un piège qu’il a évité en leur demandant de leur montrer la pièce de monnaie. Sur elle était gravée l’effigie de César, elle lui appartenait donc et ce n’était pas lui faire allégeance que de le reconnaître. C’est ce principe, politique, que la monarchie française a défendu face au pouvoir envahissant du Pape, sous Philippe Le Bel déjà puis Charles VII (Pragmatique Sanction de Bourges en 1438), Louis XIV (Déclaration des Quatre articles), la Révolution française et Napoléon Bonaparte (avec le Concordat de 1802). La volonté de Richelieu puis de Louis XIV de soumettre les protestants au pouvoir royal procéda du même mouvement : en France « cujus regio, ejus religio » selon la formule forgée au XVIème siècle dans le Saint Empire romain germanique. La religion du royaume est celle du roi. C’est ce principe politique qui est au cœur de la genèse de la loi de 1905 : la loi de Séparation, c’est moins la séparation de l’emprise de L’État sur l’Église que de celle de l’Église sur L’État qui menaçait via le parti monarchiste.

Le troisième ordre enfin de la laïcité est philosophique. C’est Jean Macé, le fondateur de la Ligue de l’enseignement qui l’exprime le mieux : « la laïcité, c’est la lutte contre l’ignorance ». C’est un principe d’émancipation face bien sûr à l’obscurantisme religieux. C’est cet ordre de la laïcité qui est invoqué par ceux qui veulent bannir le foulard de l’espace public : ils considèrent que porter le foulard est une régression pour l’esprit, un coup porté aux efforts des Lumières pour émanciper les citoyen(nes).

La complexité du débat sur la laïcité vient de la cohabitation des trois interprétations du concept, interprétations qui prennent plus ou moins de place selon l’actualité.

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