Écrivain et traducteur d’origine syrienne, Hachem Saleh est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Les Lumières Européennes et sur La critique du Fondamentalisme Islamique : deux sujets majeurs qui le préoccupent depuis 30 ans.


Entretien avec Hachem Saleh

Vous utilisez les œuvres françaises des Lumières dans votre combat contre l’islamisme radical. Cette stratégie porte-t-elle ses fruits ? 

« Je crois que oui. Mon livre intitulé : « Introduction aux Lumières Européennes », sorti en 2005 a été un best seller dans le Monde Arabe. J’ai été surpris par les réactions et même par l’éloge des écrivains et commentateurs arabes. Cela dit, c’est une grande affaire ! C’est l’affaire du siècle, du XXI siècle ! Pour que Les Lumières arabes l’emportent sur les Ténèbres arabes, il faut beaucoup de temps et des efforts gigantesques. L’islamisme radical a pour lui la légitimité historique du passé. Il est enraciné dans la mentalité collective depuis des siècles. Comment lutter contre mille ans d’histoire et même plus ? Les fruits ne sont donc pas pour demain mais pour après demain. Voltaire disait a peu près ceci dans son Traité de la Tolérance : « Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson« . Et le grand Voltaire avait raison  ! Les intellectuels arabes sont dans la même situation que lui… ».

Le public arabe a-t-il accès à Voltaire, Rousseau ou Montesquieu ? Confirmez-vous que beaucoup de textes ne sont pas encore traduits ?

« Les intellectuels arabes se sont intéressés aux Lumières françaises depuis le XIXe siècle. Il existe donc beaucoup de traductions des auteurs cités. Dernièrement, j’ai vu que le grand intellectuel marocain Abdealla Laroui avait traduit des grands textes de Jean-Jacques Rousseau. Évidemment, il reste beaucoup à traduire et surtout il nous faut beaucoup de bonnes traductions. Malheureusement, les mauvaises traductions son fréquentes et c’est un problème majeur pour la culture arabe actuelle. En tout cas, la culture française a beaucoup d’aura et de prestige dans le monde arabe. On ne peut pas séparer la culture arabe moderne de la culture française. Impossible. L’influence de la deuxième sur la première est énorme. »

Ce prisme français vous permet-il d’expliquer le curieux principe de « laïcité » ?

« Moi, j’aime la laïcité française. Je n’ai aucun problème avec elle. Elle a résolu le problème confessionnel en France. Elle a clos les guerres des religions dont souffre actuellement l’Orient arabe. Ce n’est pas rien ! Elle a rendu aux protestants français leur droits bafoués par la majorité catholique. C’est un grand acquis de la modernité et de la laïcité. C’est énorme ! Je ne sais pas pourquoi on critique cette laïcité unique dans le monde ? J’aime les livres de Jean Bauberot, « Le grand pape », de la laïcité française. J’aime aussi les livres d’Émile Poulat. La laïcité bien comprise, c’est la liberté de croyance, la liberté de l’esprit. Ce n’est pas l’athéisme : surtout pas ! C’est la liberté de pratiquer une religion ou de ne pas pratiquer du tout. C’est cette liberté géniale que j’aime dans la laïcité française. »

A la lumière de votre expérience, quel(s) moyen(s) concret(s), simple(s) et rapide(s) pourraient être envisagés pour lutter contre l’islamisme fondamentaliste ?

« Pour lutter contre l’islamisme radical dans le Monde arabe, il faut, me semble-t-il, deux choses :

1/ Éditer les chef d’œuvres classiques de grands penseurs arabes du passé et de présent pour contrecarrer les chefs redoutables de l’islamisme. Il faut éditer al Kindi, al Farabi, Avicennes, etc. Et il faut accompagner ces éditions par des préfaces nouvelles qui les expliquent, les vulgarisent et facilitent leur compréhension par les élèves et les étudiants. Mais cela ne suffit pas parce que ces auteurs, malgré leur génie, baignent dans l’espace mental médiéval.

2/ Donc il faut traduire ou résumer les idées des penseurs des Lumières. J’entends par ces lumières non seulement les auteurs du XVIIIe siècle, mais aussi ceux de XIX et de XX siècle et même ceux d’aujourd’hui. Il faut diffuser aussi la culture scientifique dans le monde arabe, c’est très important. Je pense ici, par exemple, à l’admirable philosophe Michel Serres. Il a enchanté notre existence par son intelligence ! Il réunit dans sa personne la culture scientifique et la culture littéraire ou philosophique. »

Vous êtes Syrien. Quelles responsabilités tient, selon vous, l’islam politique dans le drame dont souffre votre pays des années ?

« La responsabilité des Frères Musulmans dans le drame syrien est énorme. Ils ont détruit le tissus social syrien par leur arrogance, leur confessionnalisme exacerbé, leur obscurantisme religieux. Tous les mouvement jihadistes sanguinaires sont sortis de leur sein : Al Nosra, Al Qaida, Daech, etc. Ils ont fait très peur aux minorités alaouite, druze, ismaélienne, chrétienne. Ils effraient même les classes bourgeoises sunnites urbaines cultivées et civilisées. C’est pour cela qu’ils ont échoué. Ajoutons que la modernité planétaire est contre eux. Sinon Daech serait toujours là. Je tiens ici à rendre hommage aux Kurdes syriens. Ce sont des héros tout simplement, hommes et femmes confondus. C’est eux qui ont vaincu Daech après des combats mémorables qui sont entrés dans l’histoire. Je salue aussi toutes les autres forces du peuple syrien et libanais qui ont fait reculer le fondamentalisme obscurantiste et « takfiris » criminel ces dernières années.

En tout cas si le passé est avec les Frères Musulmans, le présent et surtout le futur sont contre eux. Le mouvement de l’Histoire est contre eux. Les intellectuels arabes doivent déconstruire la théologie totalitaire et agressive des Frères Musulmans et des salafistes wahhabites… Heureusement que leur interprétation erronée de l’islam n’est plus attractive pour la jeunesse et surtout pour les femmes. Les jolies femmes arabes vont détruire l’idéologie rétrograde des Frères Musulmans… Elles sont de plus en plus nombreuses a être instruites et cultivées. Elles sont tout simplement remarquables ! »