L’actuel Directeur Adjoint de la Fondation du Roi Abdul Aziz Al-Saoud pour les Études Islamiques et les Sciences Humaines à Casablanca interviendra au colloque « L’Islam au XXIème siècle ».


Entretien avec Mohamed-Sghir Janjar

Votre pays, le Maroc, a longtemps été épargné par le terrorisme islamique. Il a rejoint l’an dernier les pays victimes de ce fléau. Pourquoi selon vous le Royaume n’est-il plus à l’abri ?

« Le Maroc est loin d’être épargné par le radicalisme religieux y compris dans sa forme terroriste. L’acte terroriste récent intervient après les attentats kamikazes qui ont frappé simultanément plusieurs endroits de Casablanca en 2003 et fait plusieurs victimes, ainsi que l’attentat d’Argana à Marrakech en 2011. Le pays compte aussi des centaines de jeunes jihadistes qui opèrent dans les zones de conflits armés en Syrie et Irak.
Si le Maroc est touché par la violence terroriste d’expression islamiste, comme de nombreux pays à travers le monde, c’est que le phénomène est planétaire, complexe et ses causes sont multiples, à la fois socio-économiques, idéologiques, religieuses et géopolitiques. Par ailleurs, les carences en termes d’éducation/formation, l’exclusion socio-économique, la marginalisation politique d’une grande partie de la jeunesse et son exposition à des discours religieux radicaux via une offre médiatique et numérique mondialisée, font que le Maroc ne peut rester à l’abri du défi terroriste. »

Vous défendez que le tout sécuritaire n’est pas une solution. Les faits vous donnent raison. Quels sont selon vous les vecteurs pour lutter contre le terrorisme islamique ?

« L’action sécuritaire est, sans doute, nécessaire, mais partout dans le monde elle se révèle insuffisante face à la violence terroriste. Car la violence portée par le radicalisme religieux puise sa raison d’être, son énergie et sa légitimité, aux yeux de ses auteurs, dans des idéologies et des visions de la religion et du monde. Or, on constate souvent dans le monde arabo-islamique, que nombreux sont les États qui, tout en combattant le terrorisme islamiste, créent les conditions de son développement, par leurs politiques éducatives, leur instrumentalisation de la religion, et leur autoritarisme. Quant aux vecteurs de lutte contre le terrorisme religieux, ils doivent être aussi divers et complexes que les causes de ce même terrorisme. Ils relèvent d’une éducation humaniste qui promeut l’autonomie de l’individu et l’épanouissement de son esprit critique, d’un mode de société démocratique qui garantit les libertés et les droits des citoyens pour qu’ils puissent gérer leurs conflits par les moyens politiques et par le droit. L’éducation, la formation et l’intégration socio-économiques des jeunes générations sont également des conditions nécessaires. Par ailleurs, les musulmans à travers le monde ne peuvent faire l’économie d’un immense et profond aggiornamento de leurs traditions et leurs conceptions théologiques pour concilier leur conscience religieuse avec leur temps et le monde moderne qu’ils partagent avec l’humanité contemporaine. »

Les musulmans s’affrontent sur le fait de savoir si le Coran est un livre nécessairement violent ou non. Quel est votre point de vue ?

« Le texte coranique, à l’instar des autres textes fondateurs de traditions religieuses, comporte des messages éthiques de portée humaniste, universelle et émancipatrice. Mais il contient aussi d’autres messages incitant la communauté des croyants à faire la guerre à ses ennemis, voire à les anéantir. De tels messages n’avaient rien de choquant pour la conscience des hommes de l’Antiquité tardive et le Moyen Age. Certes cela heurte notre conscience d’hommes modernes héritiers des Lumières et de la révolution des droits de l’homme, mais cela ne nous permet pas de s’adonner à des anachronismes et considérer que le Coran ou la Bible sont par essence violents ou non-violents. D’un point de vue historique, ce genre d’affirmations essentialistes n’a aucun sens. Les scènes de torture atroce décrites par de nombreux historiens de l’Europe chrétienne prémoderne, signifient-elles qu’il faudrait traiter la Bible ou les Evangiles de textes violents ? A chaque époque, les croyants sont invités à lire et à interpréter leurs textes sacrés à partir des savoirs de leur temps et de leurs propres interrogations. Et chaque fois que le sens apparent du texte contredit la raison, c’est le texte qui doit être interprété dans le sens de la raison comme l’affirmait déjà Averroès au XII è siècle. Nous modernes, savons que tout texte, sacré ou profane, ne peut déployer des significations autres que celles recherchées et dévoilées par ses lecteurs. »