Asma Lamrabet, médecin biologiste, essayiste et féministe musulmane marocaine.
Cette intellectuelle qui participera à la table ronde sur « Islam et égalité » lors de notre colloque, est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles en français dans lesquels elle aborde des questions controversées, telles que les mariages interreligieux, l’héritage et la réforme religieuse, dans un contexte musulman. Constatant que les discriminations à l’égard des femmes s’appuient sur des lectures et des interprétations des textes sacrés, elle s’emploie à relire et à reconstruire l’interprétation de ces textes.


Entretien avec Asma Lamrabet

Vous venez de publier « Islam et femmes : les questions qui fâchent » (Éditions Gallimard Folio/essais – 2018). De quoi s’agit-il ?

« Le propos de ce livre est de dénoncer et de critiquer les interprétations patriarcales quant à la question des femmes en islam. Il s’agit de montrer, arguments théologiques coraniques à l’appui, qu’un très grand nombre de sujets (qui fâchent) sont le produit de constructions interprétatives faites par des théologiens hommes qui ont interprété le Texte selon leur contexte social et culturel patriarcal et ont élaboré une exégèse islamique rigoriste et légaliste très éloignée de l’éthique du message spirituel et initial du Coran. Ce livre propose aussi des alternatives à l’approche traditionaliste, par le biais d’une nouvelle lecture réformiste, féministe et universelle sur le Texte, perçu plutôt comme une révélation à dimension libératrice aussi bien pour les femmes que pour les hommes. »

Vous êtes médecin biologiste, pensez-vous que l’islam soit atteint de misogynie ? Si oui, est-ce une maladie incurable ?

« Je dirais que oui l’islam dans sa dimension institutionnelle est atteint de misogynie comme toutes les autres religions (Judaïsme, Christianisme ou Bouddhisme…) ; la misogynie étant une donnée universelle qui transcende culture, religions et idéologies politiques. Vu de cet angle, ce n’est pas incurable dans la mesure où ce n’est pas la dimension spirituelle de l’islam, autrement dit son « esprit » – ni d’ailleurs celle du Judaïsme ou du Christianisme – qui est atteinte, mais bien celle des institutions qui ont largement puisé dans les différents textes sacrés afin de consolider leur pouvoir au nom du religieux !  »

Comment encourager légalité homme-femme chez les musulmans alors que « la thématique des femmes en islam reste très tributaire d’une vision binaire très réductrice. Entre la vision islamique traditionaliste, qui refuse toute réforme par peur de perdre des valeurs identitaires idéalisées à outrance, et la vision dite « moderniste », qui inculpe le religieux et particulièrement l’islam de tous les maux » ?

« En essayant de tracer une troisième voie, celle qui allie éthique spirituelle et modernité universelle et qui, tout en ne reniant pas son référentiel religieux, son identité et son histoire, permet de vivre un Islam épanoui, libéré des lectures rigoristes et ouvert sur toutes les richesses humaines. »

Auriez-vous des exemples concrets de réformes pour encourager l’égalité homme-femme ? 

« Au Maroc, en 2004, la réforme du Code de la famille, a permis de corriger un grand nombres de lois discriminatoires considérées comme étant sacrées. Alors qu’elles n’étaient que des produits de l’interprétation patriarcale des écoles juridiques de l’islam.  Cette réforme a pu ainsi concrétiser un certain nombre de principes égalitaires émanant du Coran lui même, comme par exemple l’égalité dans la responsabilité du foyer familial, alors que le mari était considéré comme le chef de la famille. Elle a permis aussi l’égalité juridique du divorce qui a toujours était considéré comme un droit exclusif du mari. »