Hakim El Karaoui, administrateur de l’Islam au XXIème siècle s’exprime dans le Nouvel Obs de novembre 2020 sur l’enseignement de l’arabe à l’école publique.

L’Obs – Thierry Noisette, le 12 novembre 2020

Emmanuel Macron propose le renforcement de l’enseignement scolaire de l’arabe pour lutter contre les « séparatismes ». Qu’en pensez-vous ?

C’est une très bonne chose. Il existe une demande d’apprentissage de l’arabe dans les familles. Mais, comme l’offre est insuffisante depuis des décennies, elle a été satisfaite hors de l’école publique, par les mosquées et les associations religieuses. Or, l’enseignement des mosquées, dispensé par des gens qui ne sont pas enseignants de formation, est souvent payant et de mauvaise qualité. Ces cours reposent sur du par coeur de textes religieux, pas toujours compris. Pour autant, restons modérés : les mosquées ne sont pas des lieux d’embrigadement djihadistes – celles qui l’étaient ont été fermées. Mais comme elles utilisent des manuels issus de pays étrangers, elles diffusent des modèles culturels et sociaux qui ne sont pas les nôtres, sur la place des filles et des garçons, notamment. D’où un côté obscurantiste, plus par médiocrité qu’autre chose.

Des politiques, jusqu’à l’ancien ministre Luc Ferry, jugent que cet enseignement serait la porte ouverte à l’islamisme…

A chaque fois qu’on parle d’apprendre l’arabe, des gens, même cultivés, deviennent fous. Qu’un ancien ministre de l’Éducation tienne de tels propos, je ne me l’explique pas. Autant interdire les langues étrangères, comme l’anglais qui participe d’une invasion culturelle ! On ne comprend pas que la société française connaît une dynamique générale d’affirmation des identités. Ne pas trouver de réponse à cette recherche est, à mon avis, la première cause de l’islamisme. Permettre à des descendants d’immigrés de se connecter à leur identité et de découvrir, dans un environnement laïque, une culture serait le meilleur moyen de lutter contre le repli communautaire.

Mais comment attirer plus d’élèves dans les classes arabophones publiques?

Il ne suffit pas d’ouvrir des postes : il faut faire le « marketing » de la langue. Le récent livre-témoignage « l’arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue en France» de Nabil Wakim Journaliste au «Monde», NDLR] raconte très bien comment il a désappris sa langue maternelle, ressentie comme une langue de « pauvres», qui stigmatise. Il faut en faire une langue de fierté, qui donne envie. Le monde arabe est plein de débouchés
professionnels et d’opportunités. L’enseignement a fait des progrès : pendant longtemps, on n’apprenait que l’arabe littéraire, compliqué et écrit. Désormais, on enseigne un arabe parlé, utile aussi dans la vie quotidienne. Et apprendre l’arabe à l’école, comme pour toute langue, c’est aussi étudier une histoire, une civilisation, tout un contexte – ce que la mosquée n’enseignera jamais.