Trois questions à Didier Leschi
Spécialiste des questions relatives aux cultes et à la laïcité, actuellement directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et président de l’Institut européen en sciences des religions – il prendra la parole lors de la conférence Islam au XXIe siècle à l’UNESCO les 16 et 17 février prochains.


Entretien avec Didier Leschi

Adoptée par le Québec en 2019 et inspirée du modèle français, la loi sur la laïcité fait à nouveau polémique comme le montrait un récent article dans L’Express… Pourquoi, selon vous ?

Parce que le Québec fait un peu figure d’isolat ; pas seulement du fait de son attachement à langue française. C’est une particularité dans un monde dominé par une conception des rapports entre les Eglises et l’Etat qui consiste à considérer que les religions doivent être libres de toutes contraintes étatiques ; et non à considérer que c’est l’Etat qui doit être libéré de la pression du religieux. Du reste, aux USA un président nouvellement élu prête serment sur la Bible, et sur les dollars il est écrit « In God We Trust ». Alors que depuis les années 1960, le Québec a construit par le droit, comme la France, un chemin pour se libérer de l’emprise de l’Eglise catholique, il a le sentiment que le retour de la pression religieuse le fait collectivement régresser. Nous avons eu, nous aussi, le même débat à partir du port du voile. Et ce d’autant plus que, depuis 1979, la diffusion du port du voile s’est accompagnée de régressions démocratiques, en particulier en ce qui concerne le droit des femmes à être l’égales des hommes. Continent peu laïque, le continent américain est celui où le droit des femmes à disposer de leur corps est contesté à partir du religieux. De même, il est celui qui met en pratique des fonctionnements communautaires institutionnalisés, qui ne concernent pas que les musulmans, et qui aboutit à des séparations plus qu’à de l’harmonie des rapports et la paix civile.

Ce type de loi sur la laïcité existe-t-elle ailleurs qu’en France et au Canada ?

D. L. Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Bulgarie, Danemark… Chaque pays, avec ses particularités souhaite mettre à distance le religieux, afin de préserver la liberté de chacun.  Plusieurs pays européens, après la France, ont été traversés par des débats qui ont amené des interdictions du port du voile pour les fonctionnaires ou dans l’espace public. Lors de la première irruption du débat sur le port du foulard en 1989, avec l’exclusion de deux élèves d’un collège de Creil, la France apparaissait comme isolée, et faisait même l’objet de vives critiques venant de pays qui depuis ont adopté des législations comparables. Et les débats ne sont  pas près de se clore sur ce sujet dès lors que la montée de la pression du religieux sur la vie de beaucoup, et de musulmans en particulier, se fait plus sentir qu’avant.

Pourquoi, selon vous, la laïcité à la française est-elle si peu universelle ?

Ce qui est universel c’est le combat pour avoir le droit de pratiquer une religion ou de ne pas croire, le droit de changer de religion, le droit de ne pas vivre sous la pression de préceptes religieux qu’on ne partage pas. Le modèle français, adossé à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, est effectivement minoritaire à travers le monde. Mais, par ailleurs l’on oublie trop souvent qu’en 1905, le père de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, Aristide Briand, proclamait vouloir s’inspirer de pays d’Amérique du Sud qui avaient su mettre en œuvre ce qu’il espérait pour la France. C’était particulièrement vrai du Mexique qui, disait-il, « possède la législation laïque la plus complète et la plus harmonieuse qui ait jamais été mise en vigueur jusqu’à ce jour ».

Que répondre à ses détracteurs qui voient dans le « laïcisme’ une nouvelle religion ?

Qu’ils ont tort. La laïcité est avant tout une construction juridique fondée sur une exigence de la raison : l’égalité en droit de tous les êtres humains. C’est un programme que les anti-laïques contestent parfois de bonne foi, la plupart du temps sciemment, aux détriments toujours de la paix civile.

Didier Leschi a publié aux éditions du Cerf :
« Misère(s) de l’islam de France ? »